Le détail calé, JMB nous donnait les dernières infos du déroulé tandis que Junior, jambes fléchies mais bien campé sur ses appuis, nous tournait autour.
- « 3 – 2 – 1 action ! »
- « Monsieur Cordier bonjour, merci de recevoir le Cercle Jean Moulin à votre domicile. Pouvez-vous nous parler de votre enfance, de votre milieu ? »
C’était certes une question bateau, une question qu’on lui avait posé des centaines de fois, mais il fallait bien une entame et par quoi d’autre commencer que par le début de ses mémoires et donc de son enfance ? Et il se prêtait de bonne grâce à l’exercice et même avec une délectation non dissimulée. C’est à ce moment que j’ai compris que journaliste et interviewer c’était un métier, que cela s’apprenait, et qu’on ne peut improviser que lorsque que l’on s’appelle mÔsieur Bourdin. Comment diriger l’interview, mais surtout comment et où mettre ses mains, comment couper la parole de la personne interviewée, comment relancer, comment faire disparaitre la tension si tension il y a, comment paraître naturel si ce n’est l’être ? J’avais beau avoir révisé mes questions que je pensais savoir par cœur, tandis que Daniel Cordier parlait je lisais, relisais mes questions ; je m’apercevais que je ne pouvais poser cette question, que je devais poser celle-ci, que je devais en amender cette autre. Je levais les yeux et me plongeais dans le regard de Daniel Cordier. Les siens étaient animés d’une flamme peu commune. Était-ce cette flamme qui ne devait pas s’éteindre et ne s’éteignait pas ? Était-ce celle de la Résistance ou celle de la vie, ou les deux ? Et à ce moment je me dis : Tu parles à Daniel Cordier, tu es avec Daniel Cordier.
C’était comme une révélation mystique, comme si j’étais en ligne directe avec le « patron », comme si j’étais en ligne directe avec Jean Moulin. C’était pour moi un moment de grâce. C’était un moment particulier qui effaçait toutes les vilénies.
Loin de toutes les turpitudes, ici, c’était extraordinaire d’entendre, d’écouter cet homme d’un âge certain qui avait un discours on ne peut plus fluide, logique, clair. S’il était évident que le corps avait vécu, la tête était toujours aussi vive, toujours aussi présente quand bien même l’esprit était ailleurs. L’esprit était à cet instant présent en 1943.